L’identité numérique, capital immatériel des professionnels

Pendant les deux journées d’Event42, j’ai co-animé l’atelier Réseaux Sociaux Professionnels pour présenter aux jeunes, aux éducateurs, aux parents et, finalement, à tous ceux qui se révélaient intéressés, les principes et les usages des réseaux sociaux en général.
Pole Emploi Event42 Mon propos a souvent consisté à dédramatiser l’usage quotidien des réseaux sociaux généralistes en expliquant que les compétences ainsi acquises seraient très utiles une fois déclinées sur les réseaux sociaux professionnels ou, à plus long terme, sur les réseaux sociaux d’entreprises. Les premières interrogations des visiteurs portaient généralement sur les modalités d’utilisation et les risques qu’il y aurait à rejoindre ces plate-formes (« mes diplômes, c’est ma vie privée » ou encore « que va penser mon employeur s’il me voit sur LinkedIn ? »). En expliquant les principes des réseaux sociaux professionnels, qui sont les mêmes que sur Facebook ou Google+ avec pour seules différences les objectifs (des partenaires plutôt que des amis) et les contenus (des opportunités professionnelles plutôt que des chats mignons), la question de l’identité numérique se posait tout naturellement. Au-delà du choix d’une image de profil et d’une présentation, j’ai donc expliqué que ce sont au final les contenus partagés, diffusés ou commentés qui construisaient réellement l’identité numérique sur les réseaux sociaux. J’ai ainsi constaté que, pour la majorité de mes interlocuteurs, les réseaux sociaux professionnels sont envisagés comme des endroits pour voir, se faire voir, mais pas pour échanger des informations ou avoir une démarche proactive. En général, ils ne publient pas, ou peu, et ont beaucoup de scrupules à partir à la chasse aux contacts utiles (« mais je ne les connais pas, pourquoi ils m’accepteraient comme amis ? »).

De l’importance de la littératie pour exister sur les réseaux

Pole Emploi Event42 - histoUne fois les principes de la construction d’une identité numérique professionnelle valorisante posés, la valeur de l’information devenait pour mes interlocuteurs une évidence : comment me donner une image d’expert ? En trouvant, partageant et commentant des informations récentes, pointues et liées à mes domaines de compétences. Comment les trouver ? En les cherchant sur le web pour les partager sur les réseaux ensuite, et, lorsque c’est possible, en les écrivant soi-même.
Noyés au milieu d’ateliers nettement plus ludiques, nous avons tout de même pu échanger avec de nombreux visiteurs, et j’ai l’espoir que certains auront ainsi changé d’avis sur les réseaux sociaux, sur les bénéfices qu’ils peuvent en tirer et que des comptes seront créés / réactivés.

Relativement satisfait de ces deux journées de travail, c’est avec un œil acéré que j’ai pris connaissance, sur l’indispensable blog Euresis-ie, de l’article intitulé L’identité numérique est une exhibition de soi. Ce titre me paraît relativement anxiogène, et je préfère pour ma part décliner le thème de l’auto-promo, de la publicité de soi-même, etc. Pour de nombreux utilisateurs, le principe d’auto-promo n’est pas non plus très attirant, mais il me semble tout de même moins connoté que le registre de l’exhibitionnisme.

L’identité numérique comme capital immatériel

Pierre-Yves Debliquy débute son article en déplorant l’absence d’évocation de l’e-réputation dans la publication qu’il commente : On ne peut pas ne pas communiquer, par Fanny Béguelin sur le blog Recherche d’ID des étudiants en information documentaire de la Haute Ecole de gestion de Genève. Cette contribution est centrée sur les traces laissées, volontairement ou pas, par l’internaute qui fait des recherches, des achats, diffuse des contenus sur les réseaux sociaux, etc. Pour passer de cette identité numérique personnelle à l’e-réputation, il convient, comme le concède Pierre-Yves Debliquy, d’ajouter à la première ce que d’autres disent de vous sur les réseaux sociaux.

L’e-réputation est pour moi le côté obscur de l’identité numérique, une ficelle marketing consistant à insister sur les risques plutôt que sur les opportunités d’une présence sur les réseaux sociaux. Ce qui importe réellement, c’est bien l’identité numérique d’une personne, d’une structure, d’une entreprise. La (bonne) réputation, dans le monde de l’entreprise, c’est ce qui ouvre des portes, facilite les contacts, attire les partenaires et les clients, etc. Paradoxalement, une image valorisante s’acquiert d’autant plus facilement lorsque les actions qui la construisent sont réalisés sans volonté ostentatoire d’en tirer un bénéfice réputationnel.
La réputation, numérique ou pas, est une composante importante du capital immatériel, lequel est ainsi défini par Wikipédia :

Le capital immatériel ou patrimoine immatériel est un élément non monétaire et sans substance physique, constitué par les informations et connaissances détenues, et ayant une valeur positive, par une organisation.

Dans une société où avancer que « l’information, c’est le pouvoir » est un poncif et où l’innovation et l’intelligence en général sont considérées comme les plus sûrs moyens de réussir, le capital immatériel prend une importance prépondérante pour le développement de l’activité. Et comme le réflexe de Googliser ses futurs rendez-vous, de les « traquer » sur les réseaux sociaux et d’accumuler autant d’informations que possible sur ses partenaires, clients et concurrents est de plus en plus répandu, l’identité numérique a une place de choix dans le capital immatériel d’une entreprise ou d’un professionnel.

Construire son identité pour maîtriser sa réputation

Dès lors, il pourrait sembler indispensable de porter une attention toute particulière à son e-réputation. Mais lorsque celle-ci est « salie » par des commentaires désobligeants, polluée par des erreurs et accidents de parcours, que préconisent les spécialistes de la question ? De publier régulièrement des contenus valorisants en en soignant le référencement afin de faire disparaître les contenus jugés non-souhaitables dans les enfers de la page 2 des résultats de Google.

The-man-she-forgot-to-googleA l’exception notable des grands groupes, dont la marque est désormais le principal capital, puisqu’une bonne partie d’entre eux ne comptent désormais plus d’usines ou d’effectifs pléthoriques, la crainte des dommages potentiels de publications entachant l’ e-réputation d’une entreprise me paraît contre-productive, car porteuse de la tentation… de ne rien faire.
En effet, les réseaux sociaux fonctionnent comme une caisse de résonance d’ampleur mondiale, et un avis négatif (l’écran de ma pomme est diablement souple…) peut être publié en Asie et partagé en Amérique du Nord et en Europe quelques secondes plus tard. C’est la rançon de la gloire des marques emblématiques : leurs produits et leur image sont tellement adulés et traqués que le moindre faux-pas peut prendre des proportions démesurées, que les concurrents s’empresseront d’amplifier. Si la société, sa marque et ses produits ne sont pas scrutés à une telle échelle, les risques sont donc bien moindres. En somme, l’e-réputation est un problème de riche

Et puisque le meilleur moyen de se prémunir de l’apparition de publications non-souhaitées est de diffuser régulièrement des contenus qualitatifs au service de la stratégie de l’entreprise, il me semble qu’il est bien plus pertinent de consacrer des moyens et des efforts à la construction d’une identité numérique positive qu’à surveiller l’apparition hypothétique de contenus dégradants.

D’autant plus qu’entre les systèmes de notifications et la veille que présuppose la publication régulière de contenus qualitatifs et valorisants, il est beaucoup plus facile de détecter l’apparition de ces contenus non-souhaités en étant massivement présent sur les réseaux qu’en adoptant la posture consistant à ne rien y faire pour ne pas prendre de risque.

Les réseaux sociaux, omni-médias générateurs de littératie

Capture d'écran du blog Digimind

Capture d’écran du blog Digimind

L’éditeur rhônalpin de solutions de veille Digimind se fait l’écho d’une étude réalisée Aura Mundi et l’Argus de la Presse et visible sur le site de France TV. Ma première réaction à la synthèse proposée par Digimind, intitulée Les réseaux sociaux, un phénomène de société fait pour perdurer, a été l’étonnement, car qualifier de « tendance » l’utilisation grandissante des réseaux sociaux, c’est, une fois encore, confondre une activité, pouvant être qualifiée de tendance, et un moyen, certes récent, d’exercer cette activité. Que font les socionautes sur les réseaux ? Ils recherchent et émettent des informations. Et tant pis si le terme peut sembler inapproprié pour une bonne partie des publications, il s’agit bien d’informations, pour l’œil qui saura les comprendre et en tirer profit.

Estimer que la recherche et l’émission d’informations constituent une nouvelle tendance me semble assez surréaliste, mais peut-être suis-je trop sourcilleux.

Quoi qu’il en soit, les Français plébiscitent les réseaux sociaux, au premier rang desquels ils classent, sans surprise, Facebook.
Mon second étonnement à la lecture des résultats de l’enquête porte sur les attentes des utilisateurs et les applications envisagées. Les résultats dressent le portrait d’utilisateurs récepteurs d’informations ou quémandeurs d’avantages, adoptant donc des postures relativement passives par rapport à ces médias, qui sont justement les premiers à placer émetteurs et récepteurs sur un pied d’égalité. Je connais trop bien l’impact de la formulation d’un questionnaire sur les réponses pour en faire porter le responsabilité exclusive sur les répondants, tant il semble évident que l’approche des créateurs de l’étude s’est concentrée sur les socionautes / consommateurs plutôt que sur les socionautes / citoyens – entrepreneurs – collaborateurs – veilleurs.

Car entre l’utilisation suggérée par cette étude et celle, exclusivement marketing, régulièrement mise en avant dans des études similaires réalisées auprès d’entreprises, il existe une myriade d’applications des réseaux sociaux, au service de la vie personnelle et professionnelle des individus et susceptibles de faciliter l’accès rapide à des informations valorisables ou distrayantes. Pour en prendre conscience, et en tirer profit, il convient de transformer ses envies, ambitions et centres d’intérêt en besoins d’informations. Cette posture intellectuelle s’appuie sur une capacité, dont je viens de découvrir le nom : la littératie.

Littératie 2.0

Je viens de découvrir l’existence du terme, mais pas l’importance de cette compétence, définie par l’OCDE comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités. »

Digital Illiteracy - CC Ron Mader

Digital Illiteracy – CC Ron Mader

Apparu dans les années 1970 et formalisé en 1989, le concept prend une tout autre importance avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux. La compétence nécessitait en effet auparavant de pouvoir être physiquement en présence de sources d’informations valables, alors qu’il « suffit » aujourd’hui de disposer d’une connexion Internet pour être susceptible d’accéder à des informations utiles.
La littératie, dans le contexte d’Internet et des réseaux sociaux, c’est la réponse à la question que j’invite tout mes stagiaires à se poser en permanence avant de lancer une requête : « qu’est ce que je cherche ? »
De la capacité à répondre précisément à cette question, à formuler simplement une hypothèse de contenu pour vérifier son existence en ligne puis à lire, comprendre et analyser les contenus proposés par le moteur de recherche dépendent les capacités effectives à tirer profit des nouveaux médias.
Le partage d’informations, le commentaire, la republication sont des usages courants sur les réseaux sociaux, mais leur utilité dans un environnement autre que ludique n’est pas toujours clairement compris. Comprendre les impacts potentiels d’une information, c’est pourtant également être en mesure d’imaginer les personnes et entités qui sont susceptibles d’être impactées positivement ou négativement. Être en mesure de fournir ainsi la bonne information au bon moment est une compétence au cœur du fonctionnement des réseaux sociaux. Si tout le monde s’accorde pour le faire pour un anniversaire, pourquoi en serait il autrement pour un nouveau produit, de nouvelles CGV ou une modification de grille tarifaire ?

Les réseaux sociaux, médias omniscients et omnignares*

Omniscient ou Omnignare ?

Omniscient ou Omnignare ?

Consultant et formateur en Communication écrite et Veille stratégique, deux disciplines dont l’acquisition découle directement des aptitudes en littératie des stagiaires, je cherche depuis longtemps le moyen d’enseigner cette compétence. Au delà du pré-requis évident, savoir lire et écrire, il est très difficile de transmettre ce qui relève à la fois de la curiosité, de l’esprit de synthèse et d’analyse et de la volonté de partage d’informations.
Avec les collégiens et lycéens de Fréquence Ecoles ou avec les créateurs et dirigeants d’entreprises dans le cadre de mes autres activités professionnelles, c’est par le biais d’exemples divers et nombreux que je met en scène les comportements et aptitudes découlant de cette compétence.

Pour un professionnel de l’information comme moi, les réseaux sociaux et le web social en général constituent une encyclopedia universalis dynamique, (é)mouvante et gratuite qui rassemble une masse d’informations inimaginable. Les réduire à des moyens de « liker » une marque de chaussure, d’obtenir des goodies ou comme un succédané de SAV, c’est passer à côté d’un potentiel d’intelligence collective comme l’Humanité n’en a jamais connu. Comprendre ce qu’est une information et envisager les avantages qu’il est possible d’en tirer, c’est ce qui fait la différence entre utiliser les réseaux sociaux et être utilisé par les réseaux sociaux.

La limite, et la beauté, de la chose réside évidemment dans le fait que les réseaux sociaux seront intelligents dans la mesure où leurs utilisateurs le seront aussi.

* omnignare : néologisme personnel forgé par le rapprochement du préfixe omni (tout) et d’ignare : toute la bêtise.