Cette fois vous êtes décidés : les articles que vous avez lus, les collaborateurs et les concurrents avec lesquels vous en avez parlés vous ont convaincus. Vous êtes dirigeant d’une TPE, d’une PME, d’une ETI. Vous êtes sous-traitant, industriel ou prestataire de services et vous pressentez que formaliser la collecte, l’analyse et la capitalisation de l’information peut vous faire gagner en efficacité.
Bravo ! Vous êtes désormais un veilleur. L’information ne passera plus jamais devant vos yeux de la même façon. Vous chercherez toujours à y déceler un impact sur votre activité, votre environnement ou votre organisation.
Si cette envie et cette tournure d’esprit orientée analyse de l’information sont indispensables pour initier une démarche de veille, elles sont cependant loin d’être suffisantes.
Voici en cinq points les étapes que je préconise aux sociétés qui me sollicitent pour les accompagner. Je les décline sous la forme des 5W (who, what, when, where, why) du traitement journalistique d’une information. C’est en effet dans la peau d’un journaliste d’investigation au service de la ligne éditoriale de l’entreprise que vous êtes désormais.
Why ?
Why? CC BuzzFarmer
Pourquoi ? Quels sont précisément les objectifs que vous visez ? Les objectifs fixés déterminent à la fois votre stratégie et les informations dont vous aurez besoin pour valider et piloter celle-ci. Objectifs et stratégie doivent être clairement formulés et précis. Il n’est ici pas question de se contenter d’un « gagner en rentabilité » ou « gagner des parts de marché ». L’objectif doit au minimum définir une valeur quantifiable et un domaine dans lequel cette valeur doit être atteinte : « investir un nouveau marché qui représentera à terme X% de mon CA », « réduire de X% les délais de réponse aux sollicitations de mes clients / partenaires (…) », « améliorer la qualité et réduire de X% les retours négatifs », « obtenir la certification X / labellisation Y », « recruter X nouveaux clients / collaborateurs de telle catégorie », etc. Plus les objectifs seront bien définis, plus il sera facile de les partager avec vos collaborateurs, et plus il sera aisé de mesurer la pertinence des actions qui suivent.
Si vous êtes indéniablement la personne la mieux placée pour définir vos objectifs, instaurer un dialogue à l’intérieur de l’organisation peut vous permettre de les affiner et surtout d’en améliorer la formulation. Ces objectifs sont le mot d’ordre de l’entreprise, son mantra pour les mois / années à venir, et il serait utile que tous les connaissent, que tous les utilisent à l’identique et que chaque collaborateur soit au fait du discours qui peut être tenu en interne et de celui qui peut / doit sortir des murs de l’entreprise. Si vous estimez devoir respecter un certain cloisonnement pour vous prémunir d’éventuelles fuites, il vous faudra tout de même fournir à chacun un objectif, même si celui-ci n’est au final qu’une version tronquée de l’objectif global, déclinée selon le poste, la spécialité et l’exposition de chacun. L’ensemble doit être cohérent, au risque d’être incompréhensible, et donc non pris en compte, ou pire, démotivant.
La définition des objectifs est une phase primordiale, et si vous êtes évidemment le seul détenteur de l’information, un consultant peut vous accompagner pour les formuler plus clairement et vous aider à en vérifier la pertinence en envisageant les différents impacts que vous n’êtes pas nécessairement en mesure d’imaginer, en tant que professionnel de la profession logiquement centré sur les aspects opérationnels de la stratégie que vous vous apprêtez à mettre en œuvre.
Dans ma formation Définir et Initier une démarche de veille stratégique, je présente quelques trucs, à base de questionnement, pour auto-évaluer les objectifs fixés.
What ?
What are you lookin at ? CC Nolifebeforecoffee
Quoi ? Ou plus précisément : quelles informations allez vous chercher plus particulièrement ? Les axes de surveillance dépendent directement de la stratégie que vous choisissez pour atteindre vos objectifs. S’agit-il d’innover ? de décliner un produit existant ? d’adopter une communication différenciante ? de surveiller le dynamisme de la concurrence directe ? indirecte ? des nouveaux entrants ? des produits de substitution ? de suivre les innovations technologiques ? les évolutions législatives ? réglementaires ?
Pour définir les informations qui vous seront utiles, il s’agit de décomposer la stratégie en éléments simples pour lesquels il est possible d’obtenir des réponses « binaires » : ça existe / ça n’existe pas ; ça marche / ça ne marche pas ; c’est en cours de développement / personne n’y a encore pensé ; c’est un marché d’avenir / c’est un marché en perte de vitesse ; la concurrence innove / la concurrence stagne, etc.
Chaque élément constitutif de la stratégie devient dès lors l’objet de la veille. Pour être efficace, il faut établir le champs sémantique de chaque élément : les termes listés sont les mots-clés de la surveillance, et il est d’après moi plus pertinent de taper d’abord large pour ensuite réduire la palette étudiée que faire l’inverse. Là encore, il est utile de collecter et compiler la terminologie utilisée par les différents corps de métier de l’entreprise : le commercial ne parle pas comme l’ingénieur, qui ne parle pas comme le responsable RH, qui ne parle pas comme le chef d’atelier, etc.
La collecte, l’analyse et le traitement des mots de votre activité peuvent être réalisés en interne. Différentes méthodes existent, de l’entretien au questionnaire en passant par les cartes mentales. Pour être utile, cette phase doit être particulièrement soignée, afin de détecter les redondances, les liens de causalité et éliminer l’inutile pour donner plus de place à l’indispensable.
En tant que consultant, j’ai plusieurs méthodes, que j’utilise en fonction de la taille de l’entreprise et de ses intentions.
En tant que formateur, il s’agit d’une des compétences les plus difficiles à transmettre, car c’est un exercice qui demande à la fois de la rigueur méthodique et de l’imagination, pour transformer les mots des professionnels en questions auxquelles il conviendra de trouver des éléments de réponse. Cela nécessite donc de comprendre à la fois l’entreprise et le fonctionnement des outils de recherche et de collecte de l’information.
Les objectifs sont fixés, la stratégie qui doit permettre de les atteindre est formulée, les besoins en informations sont définis. Il ne « reste » plus qu’à aller les chercher !
Where ?
Where ?
Où ? Cela dépend bien évidemment des besoins. La presse économique et spécialisée s’il s’agit d’évaluer l’environnement, d’obtenir des informations généralistes (évolutions réglementaires, juridiques et législatives…). Les syndicats, les fédérations, les sites et la presse spécialisée si l’on cherche de nouveaux entrants ou des évolutions spécifiques au secteur d’activité. Les réseaux sociaux professionnels si l’on cherche de nouvelles compétences. Les réseaux sociaux grand public s’il s’agit de comprendre / attirer des consommateurs. Des blogs, publications scientifiques et les bases de données brevet si l’on est à l’affût d’innovation ou de nouvelles méthodes. Les sites Internet / comptes de réseaux sociaux et blogs des concurrents, des fournisseurs, etc.
Trouver une source n’est pas l’aspect le plus difficile de la question. Il faut ensuite évaluer la source grâce à divers indicateurs, automatiser la collecte des informations émises, contrôler régulièrement les données obtenues et modifier, si besoin, le médium utilisé pour la suivre (abandon du blog au profit des réseaux sociaux, suppression d’un flux RSS ou d’une newsletter, changement d’adresse d’un site ou d’identité numérique, modification d’une ligne éditoriale rendant inutile telle source). Un corpus est en perpétuel mouvement, et des sources disparaissent ou perdent leur intérêt quand d’autres utiles apparaissent. Parmi les cinq étapes de la démarche que je propose, la question de la sélection des sources est celle qui illustre le mieux le caractère itératif d’une démarche de veille. Chaque modification, des objectifs, de la stratégie, du contenu, des émetteurs, a un impact direct sur les publications surveillées. C’est donc une quête sans cesse recommencée.
Que j’intervienne en tant que consultant ou en tant que formateur, c’est sur les bases de la recherche d’informations que je m’appuie pour mettre en œuvre cette phase de la veille stratégique. Les critères de sélection des sources dépendent de nombreuses variables, propres à chaque mission. J’estime cependant qu’une veille correctement paramétrée permet à la fois d’obtenir des contenus pertinents et de nouvelles sources potentielles, par exemple via l’inclusion systématique d’une requête généraliste sur un moteur de recherche donnant la possibilité d’obtenir de nouvelles réponses via un flux RSS.
Who ?
Who ?
Qui ? Qui va prendre en charge cette mission stratégique ? Si c’est stratégique, il paraît important de l’assurer en interne. Et même à un niveau suffisamment proche de celui où seront effectivement prises les décisions éclairées par les résultats de la veille, véritable valeur ajoutée d’une veille stratégique. Comme les points précédents le montrent, définir et instaurer une démarche de veille stratégique demande des compétences transversales (compréhension des problématiques globales, maîtrise du vocabulaire, capacités d’écoute, aptitudes à diriger une conversation pour obtenir les informations recherchées), et des compétences spécifiques (recherche, collecte, synthèse et analyse d’informations, maîtrise des outils, rédaction…) Avez-vous dans votre organigramme la perle rare qui détient toutes ces compétences ? En plus de votre confiance ? Si oui, c’est indéniablement la personne idéale pour piloter (et non réaliser !) la veille. Si non, il vaut mieux privilégier une personne qui détient les compétences transversales et la former / l’accompagner à l’acquisition des méthodes et usages de la veille. D’autant que ces savoir lui seront également utiles pour d’autres types de missions.
S’il s’agit de piloter, et non de réaliser, la veille, c’est que chaque salarié de l’entreprise doit pouvoir être impliqué dans la collecte de l’information. En effet, si à l’heure actuelle veille = Internet, les sources valorisables sont bien plus nombreuses et diverses : catalogues, observations de terrain, discussions informelles, salons, etc.
La réponse à la question qui ? est donc multiple. Dans l’idéal, ce sont les dirigeants qui tirent la valeur ajoutée (analyse + décision) des données collectées et commentées par tous les salariés (remontées terrain, rapports d’étonnement, veille en ligne) et rassemblées, diffusées, synthétisées par le « veilleur », qui agit donc comme la tour de contrôle de l’ensemble du dispositif.
When ?
When ?
La question du Quand ? peut sembler déplacée alors que l’information est en perpétuel mouvement. Y répondre efficacement revient cependant à lever l’un des principaux obstacles au développement de la veille dans les petites et moyennes entreprises. Si le principe est désormais connu et majoritairement reconnu comme valide, c’est notamment le manque de temps qui entrave souvent sa mise en œuvre ou son exploitation. Là encore, il n’y a pas UNE bonne réponse, mais une réponse adaptée à chaque situation. La seule constante pour répondre efficacement à cette question est liée à la quantité d’informations collectées. Trop peu, et le risque de « rater » une information ou un rapprochement augmente. Trop, et le risque de passer à côté d’une information noyée dans la masse ou d’user prématurément le veilleur est réel. Si la charge de la veille est répartie sur plusieurs collaborateurs, quelques heures par semaine / personnes sont suffisantes, et le pilote de la veille consacrera, selon le volume à traiter et le nombre d’objectifs, quelques heures ou une demi-journée au rapprochement des données collectées et à la rédaction d’une synthèse. Celle-ci fera ensuite l’objet d’une analyse collégiale en impliquant là encore un maximum de collaborateurs représentant des parties distinctes du tout qu’est une entreprise.
Le Quand ? d’une démarche de veille stratégique concerne également la période durant laquelle il est possible et utile d’initier le processus. Idéalement, une période de moindre activité est à privilégier. En tout état de cause, si le dirigeant nourrit des ambitions particulières, il est préférable d’intégrer très en amont la veille aux réflexions stratégiques, en considérant qu’elle en est constitutive, et qu’il ne s’agit pas d’une activité annexe, mais bien d’un aspect, parmi d’autres, des outils mis en œuvre favoriser le développement de l’activité. En effet, si la collecte d’informations permet de valider une stratégie a posteriori, elle permet également de l’affiner et de la corriger a priori.
Accompagner le déploiement d’une veille stratégique
the five w’s. CC Jasmine Harris
C’est bien dans l’entreprise que sont concentrées les compétences indispensables pour tirer profit d’une démarche de veille stratégique et c’est pour cela que je préconise systématiquement de la réaliser en interne plutôt que de faire appel à un sous-traitant. Cependant, de nombreux aspects nécessitent des méthodes ou des postures qui peuvent être étrangères aux collaborateurs, même aux mieux formés et aux plus motivés. C’est pourquoi le recours à une formation d’entreprise ou à un consultant, qui accompagnera les personnes impliquées à chaque étape, s’avère très utile, sinon indispensable. Si ces interventions extérieures ont un coût réel, elles permettent de gagner énormément de temps dans le processus, de transmettre les compétences indispensables, et uniquement celles-ci, au bon moment, et d’obtenir rapidement un dispositif opérationnel. La dynamique impulsée par l’annonce de la mise en œuvre d’une veille se transforme ainsi rapidement en résultats tangibles et permet d’inscrire la pratique dans le travail quotidien de chacun, ce qui est à la fois un gage d’efficacité et de pérennité du système de collecte et d’analyse des informations.
#IE pour les PME-PMI : artisanale ou frugale ?
8 septembre 2016 Laisser un commentaire
Une fois de plus, c’est l’excellent blog euresis qui me sert de point de départ pour cette publication. Dans un article intitulé Intelligence économique en PME : bricolage informel ou intelligence économique frugale ?, Pierre-Yves Debliquy liste certains des éléments qui caractérisent les pratiques de l’intelligence économique dans les petites et moyennes entreprises.
Capture d’écran du blog Euresis
Les points mis en avant relèvent au final des freins au développement de l’IE dans les PME-PMI, même si ces obstacles dessinent également en creux les pistes à privilégier pour faciliter la mise en œuvre d’une démarche d’IE utile et efficace.
L’aspect sémantique des réflexions de l’auteur, bricolage de l’informel ou intelligence économique frugale ?, illustre assez bien le dilemme que rencontre tout professionnel confronté à des questions concernant l’adoption de procédures d’intelligence économique dans des organisations de taille réduite.
Si le terme « bricolage » donne d’après moi une image peu valorisante, le qualificatif « frugal » de la seconde proposition peut également induire en erreur.
Si « frugal » décrit une nécessaire économie de moyens financiers, c’est une définition adaptée.
En revanche, si « frugal » s’entend dans le sens de « léger », il peut donner de faux espoirs aux dirigeants d’entreprises.
PME : des conditions propices, des usages qui le sont moins
En effet, comme toutes les caractéristiques et obstacles mis en avant par M.Debliquy le laissent supposer, la majorité des PME-PMI a des organisations et des systèmes d’information structurellement inadaptés à la mise en œuvre d’un système de collecte, d’analyse et de valorisation des informations internes et externes. A l’inverse, la création d’une architecture et d’une nomenclature des informations utiles à la bonne marche de l’entreprise s’impose aux grandes structures, qui comptent un nombre trop important de collaborateurs, de services et de sites pour imaginer pouvoir simplement réunir les intelligences lorsque le besoin s’en fait sentir. Les groupes ont donc par nature une forme et un fonctionnement qui anticipent les besoins de l’IE.
Deux cerveaux échangent leurs engrenages CC By Bernard Lamailloux
A l’échelle d’une PME, il semble pourtant plus facile de mobiliser et rapprocher les cerveaux afin de les faire travailler conjointement. Pourtant, l’IE peine à se développer dans ces petites et moyennes structures, alors qu’elle est largement répandue dans les ETI et grands groupes.
Si la concentration des informations utiles et la proximité des hommes qui les détiennent est objectivement un facteur qui devrait faciliter le développement de l’IE, pourquoi les PME-PMI françaises sont-elles si rarement sensibilisées et outillées pour en tirer profit ?
IE : les RH avant les achats
Quelques pistes :
Détournements de marques CC By Calimaq
Cette liste, non-exhaustive, montre que ce qui manque aux PME-PMI nécessite peu de moyens financiers mais de profondes modifications des attitudes et des usages des collaborateurs. Et le faible développement de l’IE dans les petites et moyennes structures françaises illustre suffisamment que cela ne rend pas les choses plus aisées.
Pourtant, dans une « petite » structure, les outils informatiques qui peuvent servir de supports à l’intelligence économique peuvent rester relativement simples et extrapolés de logiciels usuels, gratuits et relativement plus simples à sécuriser en raison du faible nombre de postes et de personnes habilitées à y accéder.
La taille du marché, l’étendue de l’offre, la variété des concurrents rendent également les sources et les informations à collecter plus aisées à identifier, surveiller et utiliser.
Les freins à l’IE dans les PME-PMI
Ce qui bloque, on peut le retrouver en bas de la liste établie par Pierre-Yves Debliquy :
Ce sont donc les hommes qui sont, volontairement ou non, le principal frein au développement de l’IE.
Le conservatisme, le manque de temps, la concentration des connaissances et des pouvoirs, l’appréhension, le manque de confiance, une incompréhension du cycle de vie de l’information et d’outils informatiques qui ne demandent pourtant qu’à être utilement détournés : voici les noms des freins au développement de l’IE dans les PME-PMI. Et c’est bien parce qu’il s’agit de former, motiver et accompagner des hommes plutôt que de choisir et implémenter un système informatique qu’une telle démarche n’a rien de simple et que la frugalité pourrait être un qualificatif inadapté, considérant l’énergie et la masse de travail à mettre en œuvre pour y parvenir.
Dès lors, pour entrer moi aussi dans le jeu de la re-dénomination de l’IE pour les PME, je propose à mon tour deux alternatives : l’intelligence économique artisanale (parce que faite « à la main » et avec un minimum d’automatisation informatique) ou l’intelligence économique sociale (parce que reposant essentiellement sur les compétences et contributions des hommes).
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